⚙️???? Depuis les travaux de Herbert Simon (1955, 1967, 1997) sur la rationalité limitée, renforcés par ceux de Kahneman et Tversky (1974, 2003), l’homo oeconomicus n’existe plus… ce Frankenstein de certains économistes classiques (Rational Choice Theory), laisse place à un être humain indécis, soumis à des biais (heuristiques) qui altèrent ses prises de décisions et comportements. ???????? Le rôle des affect dans des situations à risque ou incertaines est confirmé par de nombreuses études. Loewenstein et al. (2001) montrent par exemple que les réactions émotionnelles aux situations à risque s’écartent souvent des évaluations cognitives de ces mêmes risques. Dans ces situations, le comportement a tendance à être influencé par des sentiments d’anticipation, et des émotions ressenties au moment de la prise de décision. ???????? Aussi, il faut prendre en compte le rôle très important, réservé à l’influence du langage, des discours, des habitudes (la culture) dans l’expérience que chacun a de soi-même, et dans la gestion de ses propres émotions et des émotions des autres (Reddy, 2020).
REFS :
– Damasio, A. R. (1999). The Feeling of What Happens: Body and Emotion in the Making of Consciousness. New York: Harcourt Brace.
– Damasio, A. R. (2003). Looking for Spinoza: Joy, Sorrow, and the Feeling Brain. Harcourt.
– England, R. (2019). The Cognitive/Noncognitive Debate in Emotion Theory: A Corrective From Spinoza. Emotion Review, 11(2), 102–112.
– James, S. (1997). Passion and action: The emotions in seventeenth-century philosophy. Oxford, UK: Oxford University Press.
– Kahneman, D. (2003). A perspective on judgment and choice: Mapping bounded rationality. American Psychologist, 58(9), 697–720.
– Loewenstein, G. F., Weber, E. U., Hsee, C. K., & Welch, N. (2001). Risk as feelings. Psychological Bulletin, 127(2), 267–286.
– Reddy, W. M. (2020). The Unavoidable Intentionality of Affect: The History of Emotions and the Neurosciences of the Present Day. Emotion Review, 175407392093078.
– Scarantino, A. (2012). How to Define Emotions Scientifically: Emotion Review.
– Simon, Herbert A. (1955). A Behavioral Model of Rational Choice. The Quarterly Journal of Economics, 69(1), 99.
– Simon, Herbert A. (1967). Motivational and emotional controls of cognition. Psychological Review, 74(1), 29–39.
– Simon, Herbert Alexander. (1997). Models of Bounded Rationality: Empirically grounded economic reason. MIT Press.
– Spinoza, B. de (1677)[Pautrat, B., 2010]. Éthique. coll. Points. Paris. Seuil. – Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biases. Science, 185(4157), 1124–1131.
– Westen, D. (2007). The political brain: The role of emotion in deciding the fate of the nation (pp. xv, 457). Public Affairs Books.
Commentaire de Guillaume Rosquin
D’accord mais dans ce cas que devient la vie éternelle (post-mortem) ? Et s’il n’y a pas un au-delà où les vies sont récompensées ou châtiées (cf. Platon et Pascal) à quoi bon se casser la tête à être éthique durant sa vie ?
Réponse :
GR :
Mouarf, bullshit David et tu dois bien le savoir. Mais je suis content de lire ton extrait qui m’éclaire sur des aspects de la pensée de Spinoza. Tu es un bon avocat. Je pense que la tristesse vient des pertes de ses biens par effet du sort quand la colère est une perte à cause d’un irrespect, ce bien pouvant être une amitié. Alors que la joie est la marque de l’acquisition d’un bien, et qu’elle peut être grande tout en étant injuste. Car il y a deux justices : celle des états et celle que les individus s’instaurent pour eux-même (qui je crois se dirait “authentique” en grec). Quant au conatus je te propose de lire la fin de l’Apologie de Socrate par Platon, quand après le verdict Socrate commente la venue de la mort. http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/apologie.htm (en particulier de 40a à 41b)
Réponse :
Guillaume merci je pense que la vision spinoziste est merveilleusement d’actualité. Il ne conçoit pas le « sort » mais plutôt une succession de causes et d’effets dans l’ensemble de la nature. Antonio Damasio (neurologue) a bien montré en quoi la vision spinoziste entrelacée du corps et de l’esprit reflète l’actuelle connaissance de notre cerveau ???? Le conatus peut être compris comme un « désir » systémique fondamental ou une capacité de maintenir la stabilité organique et psychologique via des mécanismes physiologiques d’homéostasie ou homéodynamiques (« forces ») et des mécanismes psychologiques qui se rapportent le plus largement au développement et à l’expression de nos identités individuelles de manière continue (Damasio, 2003).
GR :
David si dans le déroulement des évènements tout n’était que cause et effets l’avenir deviendrait calculable à la manière des prévisions météo. Or par exemple une pandémie apparaît sans cause prévisible. C’est l’effet du papillon qui cause un tsunami. Les virus apparaissent spontanément. Je suis d’accord qu’actuellement la science est portée à croire à un enlacement de l’esprit et du corps, ce qui est la thèse de Michel Henry. Mais cela ne garantit pas que c’est une ultime connaissance et que dans 50 ans on pensera toujours pareil. C’est une thèse matérialiste qui fait fi de la transcendance. Cette définition du conatus est assez bonne mais pourrais tu alors m’expliquer le désir de mourir par le suicide ? (8400 cas par an en France)
Réponse :
???? Oui merci Guillaume, en fait le déterminisme spinoziste n’est pas un fatalisme. Il explique que tout est conséquence d’une cause, elle-même causée, dans un ensemble global de la nature. Le prévoir n’est pas si simple car comme les sciences dites exactes l’ont bien intégré désormais la mesure elle-même, le fait d’observer vient “perturber” le système et donne donc des résultats avec des marges d’erreur. Les sciences sociales l’ont déjà bien intégré avec la réflexivité du chercheur et son impact sur son propre objet de recherche. Aussi, une pandémie arrive avec des causes déterminées, même si elles ne sont pas spécifiquement “prévues”. Les virus n’apparaissent pas spontanément, “rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme” (Lavoisier) reste encore un paradigme qui fonde le raisonnement scientifique ????. La naissance spontanée ex nihilo procède d’une croyance divine et je suis matérialiste en effet et peu transcendant ????.
Voir Pierre Macherey sur le déterminisme spinoziste (pas un fatalisme) : “L’accident mortel survenu à l’homme qui a reçu sur la tête une tuile détachée de son toit est complètement déterminé en tant qu’il est rapporté à l’enchaînement indéfini des causes qui l’ont provoqué, enchaînement qui, précisément parce qu’il est indéfini, n’est pas susceptible d’être totalisé à partir de ses parties, mais seulement à partir de sa cause qui est la puissance divine de la nature; pourtant, cet accident, considéré isolément en lui-même, est aussi parfaitement contingent, ce qui signifie que, dans d’autres conditions, il aurait très bien pu ne pas avoir lieu, la durée de vie de la victime d’un tel accident n’étant nullement déterminable a priori de façon adéquate, ni en soi ni pour nous” (p. 242, note 1). Macherey, P. (1998). Introduction à l’éthique, de Spinoza. Tome 2. Presses Universitaires de France – PUF.
GR :
Très bon exemple David que le fait de cette tuile. On peut aussi citer les tirages du Loto (coïncidence d’un choix de nombres avec un mécanisme mécanique trop complexe à calculer) ou le fait que soumises à un stress les bactéries mutent aléatoirement en se reproduisant alors qu’elles se reproduisent à l’identique si on leur fiche la paix. Donc par rapport à la transcendance, n’as tu jamais vécu le cas en conduisant ta voiture de pressentir des dangers ? D’aborder des virages sans visibilité quelquefois avec confiance et d’autre fois avec méfiance ? Et donc dans le cas de cette tuile de décider de passer à l’écart du toit ? Pour Platon ce type d’inspiration est divin (le fait d’une volonté qui nous transcende).
Réponse :
Désolé mais je n’ai pas lu Michel Henry et je ne pourrais pas en parler plus ???? Pour la question du suicide, Spinoza explique qu’il arrive des moments où l’homme va agir contre bien-être et inverser le conatus, par une servitude, l’obsequium. C’est une soumission à l’ordre établi, les institutions et l’ordre social et ses normes. L’imperium est un « état général », cette force qui s’impose aux membres d’un collectif de personnes réunies c’est la puissance de la multitude. Le social est donc une force qui nous domine. D’ailleurs Spinoza explique (Ethique 4, prop. 20, scolie, trad. Misrahi, p. 241) : « Ainsi, personne ne néglige de désirer son utile propre, c’est-à-dire de conserver son être, s’il n’est vaincu par des causes extérieures, contraires à sa propre nature ».
⚙️« Personne, dis-je, ne repousse la nourriture ou ne se donne la mort par une nécessité de sa nature, mais seulement contraint par des causes extérieures, événements qui peuvent d’ailleurs revêtir de nombreuses formes ; l’un se tue, en effet, contraint par un autre à retourner contre lui-même sa main qui par hasard tenait une arme, et à diriger son glaive contre son propre coeur, ou encore, comme Sénèque, on est contraint par l’ordre d’un tyran à s’ouvrir les veines, c’est-à-dire qu’on désire éviter un mal plus grand par un mal moindre ; ou, enfin, c’est parce que des causes extérieures cachées disposent l’imagination, et affectent le Corps, de telle sorte qu’à l’ancienne nature se substitue une nature nouvelle et contraire dont l’idée ne peut exister dans l’Esprit (par la Proposition 10, Partie III). Mais que l’homme s’efforce par une nécessité de sa nature de ne pas exister, ou de changer de forme, est aussi impossible que le fait que quelque chose surgisse de rien, comme chacun peut le voir avec un peu de réflexion ». ???? Spinoza, B. D. [Misrahi, R., 1993]. Spinoza. Ethique. Introduction, traduction, notes et commentaires de Robert Misrahi. (Deuxième édition). Puf, Philosophie d’aujourd’hui.
En effet Guillaume, Spinoza entend « dieu » dans son texte comme le tout, la « Nature ». Son « déterminisme » n’est pas incompatible avec l’idée de faire autre chose… de prendre d’autres directions, conduits par notre conatus. Le paradoxe de l’impuissance de l’homme à dépasser ses affects s’offre un nouvel horizon dans la 5ème partie de l’Ethique : par une libération ou la béatitude…????☀️